Claudie Feschet est une militante de longue date de la section du parti socialiste de Feyzin.
Elle est toujours présente à nos réunions et ne manque jamais une occasion de faire valoir son point de vue sur les questions qui se posent aux socialistes.
Après de nombreux échanges, j’ai décidé de lui adresser une lettre.
Je sais qu’elle ne m’en voudra pas de publier ce courrier sur mon blog…
Feyzin le 12 avril 2017
« Ma Chère Claudie,
Nous en avons longuement parlé tous les deux et avec les camarades de la section.
Comme toi, et comme beaucoup d’entre nous, j’ai donc choisi de voter pour Emmanuel Macron dès le 1er tour de l’élection présidentielle. J’ai aussi décidé aujourd’hui de le faire savoir.
Il m’a fallu pour cela, comme pour beaucoup d’entre nous, franchir plusieurs obstacles.
Le premier, c’était d’assumer de ne pas suivre le résultat de la primaire.
Nous l’avons bien vu, cette « Belle Alliance Populaire » n’a pas permis de choisir ni de rassembler, dès lors que ni Jean-Luc Mélenchon, ni Yannick Jadot, ni Emmanuel Macron avaient décidé de ne pas y participer.
Nos dirigeants ont pris le risque d’une alliance étriquée, rendant improbable la participation de François Hollande, et favorisant davantage un vote de rejet, de sanction, plutôt qu’un vote positif qui aurait été l’expression du choix d’un candidat et d’un programme.
Nous nous sommes longuement demandés s’il était déloyal de ne pas soutenir le candidat issu de la Belle Alliance Populaire. Mais en matière de loyauté, nous avons aussi convenu que Benoît Hamon avait failli pendant des années vis à vis des électeurs qui l’avaient élu député en 2012.
François Hollande avait besoin d’une majorité et du soutien de l’ensemble des députés socialistes. Cette majorité, Benoît Hamon l’a constamment affaiblie par ses manquements. Quand on vote un projet de motion de censure contre un gouvernement dirigé par un socialiste, est-on vraiment en situation de demander ensuite de la loyauté ?
Y-a-t-il une faute plus grave que de manquer à la confiance accordée par une majorité de Français à celles et ceux qui ont, durant 5 ans, formé la « majorité présidentielle » autour de François Hollande et dont on pouvait attendre d’eux qu’ils forment un bloc solide, puissant, cohérent ?
***
Le second, c’était bien sûr de se poser la question du programme proposé par Benoît Hamon
A vrai dire, plusieurs éléments nous ont laissé perplexes : sortir totalement du nucléaire d’ici 25 ans, mettre en place un « 49.3 citoyen », assurer un revenu universel, abroger la « loi Travail », abandonner le « pacte de responsabilité », changer de constitution…
Outre des désaccords de fond, comment notre candidat pouvait-il s’engager sur des mesures aussi essentielles, aussi fondamentales, sans qu’elles n’aient jamais été débattues par nos militants ? Tu sais mieux que quiconque combien le débat et la délibération collective sont essentiels pour nous autres socialistes.
Non, décidément, ce programme n’est pas celui des socialistes.
Ma conviction, c’est qu’il entraînerait à nouveau la France sur la pente de déficits abyssaux.
Cela explique, tu t’en souviendras, que j’avais décidé de « me mettre en retrait » dès le début de la campagne.
Ce sentiment d’être dépossédés de ce qui nous réunissait a été renforcé encore par cet accord insensé avec E.E.L.V. et Yannick Jadot, au prix de plus de 40 circonscriptions abandonnées à la fraction des écologistes qui nous ont combattus pendant tout le quinquennat. Un accord invraisemblable qui ne les oblige même pas à retirer leurs candidats ailleurs !
Sans compter des propositions stupides – je suis désolé mais il faut parfois parler clairement – , comme l’arrêt du TGV Lyon/ Turin ou du projet de Notre-Dame-des-Landes pourtant adopté par référendum par la population de la région Pays de Loire.
Ces concessions infondées, ces reniements de tous les acquis du quinquennat, ne pouvaient pas fonder un programme ni une candidature crédible.
Les tentatives infructueuses de rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon ne nous ont pas davantage convaincu. L’adepte du « dégagisme », réclamant de faire sortir de la scène politique tous ceux qui y jouent depuis des années, quand lui-même en est un acteur depuis plus de 30 ans, est il vraiment crédible ?
Cette quête désespérée ne pouvaient que conduire à l’échec. Toi comme moi, nous ne pouvons que constater aujourd’hui les résultats de cette stratégie calamiteuse.
***
Il nous fallait enfin franchir les obstacles posés par notre Premier Secrétaire : sanction, exclusion, démission d’office…
Comment comprendre tant de menaces de la part de celui qui – hier encore – était le premier compagnon de Dominique Strauss-Kahn, adepte inconditionnel de la sociale démocratie, et devenu soudain le défenseur d’une Gauche radicale, portée vers l’extrême Gauche, irréconciliable semble-t-il avec les progressistes et les réformateurs ?
Cet obstacle ne nous a, à vrai dire, guère empêchés…
Et puis nous sommes sûrs que la Gauche progressiste saura se retrouver et se reconstruire, et que le Parti Socialiste en fera partie.
***
Nous avons bien sûr suivi avec attention Emmanuel Macron dans son comportement personnel comme dans son programme.
Il a quitté François Hollande lorsqu’il s’est révélé être en désaccord avec lui, après avoir largement inspiré la politique de ce quinquennat.
Retourné à ses activités, Manuel Valls l’a rappelé pour lui confier le Ministère de l’Economie. Il a quitté cette responsabilité lorsqu’il a décidé de constituer son Mouvement « En Marche ». Il a alors démissionné de la fonction publique.
Concernant son programme, nous avons noté qu’il conservait beaucoup de mesures engagées par François Hollande et ses Gouvernements, qu’il amplifiait plusieurs d’entre elles (au plan économique et social notamment) que son programme pour l’éducation, la culture, les banlieues, était compatible avec nos valeurs et nos orientations.
Nous avons enfin noté, avec satisfaction, qu’il avait une vraie vision de l’Europe, protectrice, vecteur de développement et de dialogue international.
Pour en avoir longuement parlé ensemble, la plupart d’entre nous considèrent que c’est celui des candidats qui offrira à la France les plus grandes chances de poursuivre demain le redressement engagé par François Hollande.
Et puis, somme toute, cette volonté qu’a Emmanuel Macron de rassembler le plus grand nombre autour de son programme, au-delà des clivages classiques, n’est pas pour nous déplaire. Ne faut-il pas parfois, à certaines périodes de l’histoire, savoir se réunir autour d’une vision partagée de la France, progressiste, réformatrice ?
Des autres candidats, nous n’avons rien à dire. Leurs programmes et leurs pédigrées parlent d’eux-mêmes. Ce dont nous sommes certains, c’est que nous ne voulons pas nous retrouver à devoir choisir, le 7 mai prochain, entre François Fillon et Marine Le Pen.
Tu m’as souvent dit, ma chère Claudie, combien il t’avait coûté de voter pour Chirac en 2002 !
***
J’ai aussi été sensible aux propos de plusieurs camarades. Si nous ne nous retrouvions pas dans la candidature de Benoît Hamon, nous ne devions pas participer au « déraillement » de sa campagne.
Nous sommes donc nombreux à nous être abstenus. Abstenus de participer et abstenus aussi de commenter…
Mais nous sommes aujourd’hui à quelques jours du premier tour et de toute part on me presse de m’exprimer.
Alors oui, je voterai dès le 23 Avril pour Emmanuel Macron.
Et oui, comme toi et comme de très nombreux socialistes, je souhaite que, dès le 23 Avril, le plus grand nombre de Françaises et Français votent pour lui. Pour que, pour 5 années encore, la France porte à sa tête un réformateur, progressiste, audacieux, européen, qui contribue à la renforcer dans son rang et sa dignité.
***
Tu me le dis souvent, je suis « trop long » et certains camarades « râlent » parfois de mes interminables interventions… Je veux bien te croire.
Mais je tenais à t’expliquer avec précision toutes les raisons qui me conduisent à prendre aujourd’hui cette décision.
Je sais que nous aurons à nouveau l’occasion d’en rediscuter encore et encore, tant il est vrai que pour nous, socialistes, l’échange et le débat sont primordiaux.
Mais cette décision valait bien une longue lettre, non ?
Amitiés socialistes.
Yves
Bienvenu au club!
Résumons. Au bout de sa carrière, le PS rejette la procédure qui a fait élire le dernier Président, rompt avec les alliances qui l’ont porté, et rejoint le candidat qui lui a claqué la porte au nez. Il a toutes les chances de devenir une espèce de point Godwin de la politique. Ce fameux « point », explicité en 1990 par l’avocat américain Mike Godwin, dit que plus une conversation dure sur Internet et plus la chance d’y évoquer Hitler et le nazisme devient certaine. Dans le même ordre d’idées, plus une conversation politique s’établira dans l’avenir, et plus le PS, François Hollande, Manuel Valls, Yves Blein et tant d’autres deviendront l’étalon du retournement. Un véritable gant. Tout ce qui était à l’endroit est devenu à l’envers, à moins que ce ne soit l’inverse.
Et ça va nous faire la leçon si Marine Le Pen ou François Fillon arrive au pouvoir, alors que vous avez tout fait pour. Les spasmes du système.
Avec tout mon mépris,
Merci Yves d’avoir ici bien écrit ce que beaucoup d’entre-nous, je crois, pensent. Ils vivent ces questions de manière parfois douloureuse dans cette période d’élection présidentielle.
Je partage ton point de vue.
Militant non élu, ancien secrétaire de section, ancien membre du bureau fédéral du Rhône, j’aimerais comme nombre d’entre nous ne pas avoir à voter pour Fillon face à MLP ou à faire un choix pour JLM dans le même cas de figure.
Voter pour l’homme à la branche de laurier me semble au-dessus de mes forces tant ce tribun érudit mêle l’anathème personnel à tous ses discours (« mêlait » devrais-je ici écrire car il arrondit ces derniers jours sa langue pour mieux aller à la cueillette) : ciblant les femmes et les hommes, qu’ils soient politiques ou journalistes, avec un manque de respect total qui confond dans l’insulte l’être humain avec les actes que celui-ci pose ou avec les idées qu’il émet. Cela me fait profondément douter de sa capacité à mener une démocratie qui ne soit pas une « démocratie populaire ». Par ailleurs il a tant eu pour préoccupation essentielle la mort du PS… Quant à son programme économique, ses propos pro-poutiniens, ses affirmations « pacifistes » (qui d’entre-nous ne préfère la paix à la guerre?) qui me font penser à l’avertissement que François Mitterrand nous lançait avec lucidité : « les pacifistes sont à l’Ouest et les missiles à l’Est »)
Concernant Benoît Hamon, tout le temps qu’il a perdu à « draguer » Mélanchon alors que tant d’entre-nous sommes en désaccord avec les propositions de l’ex leader du Front de Gauche et le cadeau disproportionné fait aux Verts, sont un temps perdu qu’il aurait pu consacrer avec énergie pour réduire dans son programme nos diverses approches et valoriser l’action que ce gouvernement a menée et à laquelle l’avenir rendra justice. Frondeur, il a confondu son réflexe avec la nécessaire alliance et les compromis alors à faire. Tout cela relève de sa responsabilité et de ses choix tactiques que j’estime désastreux. Sans parler de ses choix programmatiques non élaborés en commun dans le PS et qui pour certains – tel le Revenu Universel d’Existence, novateur et intéressant – auraient mérités d’être travaillés bien en amont.
Un regret me taraude comme beaucoup de camarades compagnons de route : celui de n’avoir pas su tirer tous ensemble et avec clarté les conséquences de nos désaccords sur la ligne sociale démocrate. Et cela en prenant le risque de fractionner notre parti : il aurait mieux valu le faire de façon délibérée et « à froid » que de façon subie en période électorale.
je ne connais pas cette Claudie, mais je me reconnais tout à fait dans les réflexions développées par Yves Blein.
Militant socialiste de longue date, je voterai sans hésitation Macron dès le premier tour.
Il faut parfois penser à un peu plus qu’à son parti